Selon les projections de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, l’offre de soins libérale pourrait diminuer de 30 % d’ici 2027. Ceci pourrait étendre les poches de sous-densité médicale à des portions relativement larges du territoire français, surtout dans un contexte où la répartition spatiale des professionnels libéraux reste inégale. Le vieillissement des populations, la féminisation croissante de la profession médicale, les mutations de l’hôpital, sont aussi des facteurs qui, à des degrés divers, impactent le fonctionnement de la médecine libérale, et, essentiellement, le médecin généraliste (MG). L’inégale répartition spatiale des MG pourrait, elle aussi, s’aggraver : 52 % de l’accessibilité aux MG repose sur des professionnels de plus de 55 ans susceptibles de cesser leur activité dans les années à venir. Ces dynamiques poseront des problèmes aux populations, en termes d’accès aux soins, voire de qualité des soins. Du côté des médecins généralistes eux-mêmes, l’exercice dans les zones sous-dotées nécessitera des ajustements pour mieux répondre aux besoins et difficultés particulières des patients sur leur territoire.
Le projet ROSAM (Raréfaction de l’Offre de Soins et Adaptations des Médecins généralistes) poursuit deux objectifs principaux : 1) documenter les risques de "mal-adaptation" des MG, lorsque leurs stratégies d’ajustement à la situation démographique s’avèrent sous-optimales, pour eux-mêmes, pour leurs patients, ou pour la population de leur zone d’exercice ; 2) étudier une forme d’adaptation promue par les pouvoirs publics : celle du regroupement en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP).
Ce projet s’appuie sur deux axes de travail complémentaires, quantitatif et qualitatif.
Le volet quantitatif repose sur l’utilisation du Panel national d’observation des pratiques et conditions d’exercice en médecine générale, échantillon représentatif des médecins généralistes français, auquel sont ajoutées des données appariées au niveau individuel des médecins : des données "écologiques" (la situation géographique des MG, notamment la densité médicale de leur territoire), et leurs pratiques de soins et de prescription (appariement SNDS – SNIIRAM, données CNAM).
Le volet qualitatif consiste en la réalisation par l’ORS Paca d’entretiens semi-directifs auprès de MG exerçant dans des zones sous-denses ou à risque de désertification médicale de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en MSP ou non. L’objectif est de décrire les perceptions des MG sur l’accès aux soins de leur territoire, les conséquences de l’exercice en zone sous-dense sur leurs pratiques et conditions d’exercice et les mécanismes d’adaptation développés par les MG face aux difficultés rencontrées.
Concernant le volet quantitatif, des analyses ont été effectuées et publiées, et d'autres sont actuellement en cours, sur le lieu d’installation et l’activité des MG (temps partiels, niveau d’activité…) mais aussi sur leurs perceptions de leur situation personnelle face à la baisse de la démographie médicale et des conséquences sur leurs pratiques.
Concernant la phase qualitative, des entretiens ont été réalisés entre mai et août 2021 auprès d’une trentaine de médecins généralistes exerçant en zone sous-dense ou à risque de désertification médicale, dont 7 exerçant en MSP. La plupart des médecins interrogés rapportent une dégradation de l’accès aux soins sur leur territoire, y compris ceux exerçant en zones urbaines et périurbaines. Cela se traduit notamment par une augmentation du nombre de patients sans médecin traitant ou sans suivi médical régulier. Parmi les médecins interrogés, environ 1 sur 3 est insatisfait de ses conditions d’exercice et plus d’1 sur 4 estime ne pas pouvoir faire son travail correctement. Les médecins généralistes sont quotidiennement débordés et sous pression. Face aux nombreuses difficultés qu’ils rencontrent, ils ont recours au "système D" et sont amenés à développer des stratégies personnelles (par exemple, priorisation et délégation des tâches, tri des patients…). Les patients font de même (anticipation des rendez-vous, consultation de différents praticiens…). Plus d’un tiers des médecins, y compris les jeunes, sont épuisés et déclarent avoir déjà présenté des signes de burnout. La même proportion envisage une reconversion professionnelle. Les mesures adoptées pour lutter contre la désertification médicale (aides financières, MSP…) sont jugées peu efficaces et font débat parmi les MG. Les médecins généralistes attendent des réponses fortes et efficaces, à la hauteur des enjeux et veulent être associés aux réflexions.
La première moitié de l’année 2023 sera consacrée à la valorisation scientifique de l’étude qualitative (rédaction d’une publication scientifique, communications orales).